220px-André_Breton_1924[1]Vers 1928 - 1929, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne, Paris

         

 

Plutôt la vie

 

Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs

     sont plus pures

Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures

     de flammes froides

Que ces pierres blettes

Plutôt ce coeur à cran d'arrêt

Que cette mare aux murmures

Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l'air et dans

     la terre

Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la

     vanité totale

                                  Plutôt la vie

Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires

Ses cicatrices d'évasions

Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe

La vie de la présence rien que de la présence

Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là

Je n'y suis guère hélas

Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir

                                    Plutôt la vie

Plutôt la vie plutôt la vie Enfance vénérable

Le ruban qui part d'un fakir

Ressemble à la glissière du monde

Le soleil a beau n'être qu'une épave

Pour peu que le corps de la femme lui ressemble

Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long

Ou seulement en fermant les yeux sur l'orage adorable qui a nom

     ta main

                                    Plutôt la vie

Plutôt la vie avec ses salons d'attente

Lorsqu'on sait qu'on ne sera jamais introduit

Plutôt la vie que ces établissements thermaux

Où le service est fait par des colliers

Plutôt la vie défavorable et longue

Quand les livres se refermeraient ici sur des rayons moins doux

Et quand là-bas il ferait mieux que meilleur il ferait libre oui


                                    Plutôt la vie

Plutôt la vie comme fond de dédain

À cette tête suffisamment belle

Comme l'antidote de cette perfection qu'elle appelle et qu'elle craint

La vie le fard de Dieu

La vie comme un passeport vierge

Une petite ville comme Pont-à-Mousson

Et comme tout s'est déjà dit

                                    Plutôt la vie.

 

 

Clair de terre,

Editions Gallimard,1923

 

Du même auteur :

Union libre (17/01/2014)

Ode à Charles Fourier (23/01/2015 

Les écrits s’en vont (23/01/2017)

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