Postface
J’écrivais tout ceci dans une sorte de fièvre ; tantôt allègre,
tantôt grinçante, vivant le reste de mes journées comme un
minéral ou une plante, ramassant pour mon poêle des cônes
de mélèze ou de sapin.
Le ciel , selon les humeurs du vent, s’ouvrait en corolle bleu
ou se fermait comme un regard qui s’éteint. Le ciel : ballons noirs,
poings de fer.
La durée n’était plus cet insecte dévoreur de secondes qui me
grignotait patiemment dans les ténèbres de la ville, mais comme une
dimension nouvelle de l’espace : je respirais, je tournais de l’aube
au soir avec les mouvements de la lumière.
Il arrive même au bout d’un certain temps, que cette existence,
purement végétative (pas de livres, pas de musique) fît naître en moi
un rythme si miraculeusement accordé aux mouvements des branches,
à la dérive des nuages, que le simple fait de devoir descendre au
prochain village pour l’approvisionnement troublait mon équilibre
contemplatif : entrer dans une boutique, demander les prix…
Cependant que j’éprouvais en même temps un extrême besoin
de communiquer. Parler à quelqu’un, dire n’importe quoi. Une sorte
de liberté m’était venue, une merveilleuse gratuité de parole m’était
souverainement accordée.
Miracle, mais pour combien de temps ? Mélèzes, aiguilles de pin,
fougères, est-ce une fuite hors du temps ou une résurrection ?
J’avais aboli toutes les hantises de la ville, mais pour en trouver
d’autres au plus secrets de moi-même : forêt sombre, lentement
explorée, mais dans une angoisse de l’esprit et du corps qui, bien que
réelle, échappait aux petitesses du quotidien : respiration à la mesure de
l’espace, des arbres, du vent, de tout.
J’y ai retrouvé une sorte de lumière et, même, nourri d’absence, par
un singulier retour : une sorte de fraternité. A force de m’exalter
intérieurement les visages ? Illusion peut-être ? Le temps, seul me le
dira.
L’ordre des forces, lentement, s’était inversé : à l’attirance vers le
haut, verts les crêtes illuminées, a succédé, pendant les quinze derniers
jours, une envie de redescendre à laquelle j’eusse difficilement résisté .
Revoir la ville, des cafés, des lumières dans des regards heureux.
Et je suis revenu, comme pour une fête. Les prés verdissaient, plus une
tâche de neige. Tandis que la chambre du musicien s‘installait doucement
dans les mirages de la mémoire, je suis redescendu vers le printemps.
La Pierre allumée suivi de La Chambre du musicien ,
Editions La Baconnière,Genève, 1962
Du même auteur :
Le mur (09/12/2016)
Quand je me trouve seul (09/12/2017)
Retour (09/12/2018)
Le basilic (09/12/2019)
Feu de grève (09/12/2020)
La rose au fond des mers (09/12/2021)
Liberté (09/12/2022)