Paul Celan (1920 -1970): Strette / Engfürhrung
Strette
*
Dé-placé dans
le territoire
à la trace non-trompeuse :
herbe écriture désarticulée. Les pierres, blanches,
avec les ombres des brins :
Ne lis plus - regarde !
Ne regarde plus – va !
Va ton heure
n’a pas de sœurs, tu es –
tu es chez toi. Une roue, lente,
roule d’elle-même, les rayons
grimpent
grimpent dans un champ presque noir, la nuit
n’a pas besoin d’étoiles, nulle part
il n’y a souci de toi.
*
Nulle part
il n’y a souci de toi –
L’endroit où ils étaient couchés, il a
un nom –il n’en a
pas. Ce n’est pas qu’ils étaient couchés là. Mais il y avait
quelque chose
de couché entre eux. Eux
ne voyaient pas à travers.
Ne voyaient pas, non,
parlaient de
mots. Aucun d’eux
ne s’est réveillé, le
sommeil
est venu sur eux.
*
Vint, vint. Nulle part
il n’y a souci –
C’est moi, c’est moi,
moi qui était couché entre vous, j’étais
ouvert, on pouvait
m’entendre, moi qui tapotais pour vous dire, votre souffle
obéissait, et c’est toujours, c’est
encore moi, il est vrai
que vous dormez.
*
Encore moi –
Années
Années, années, un doigt
tâtonne, monte, descend, tâte
tout autour :
sutures, sensibles, ici
c’est béant grand ouvert, ici
çà s’est ressoudé – qui
a recouvert ça ?
*
A recouvert ça ?
- qui ?
Est venu, venu
Est venu un mot, est venu,
est venu par la nuit,
voulait luire, luire.
Cendre.
Cendre, cendre.
Nuit
Nuit-et-Nuit. – A
l’œil va, à l’œil humide.
*
A
l’œil va,
à l’œil humide –
Cyclones.
Cyclones, de toujours,
chaos-tourbillons de particules, le reste,
tu
le sais bien, nous
l’avons lu dans le livre, était
de l’opinion.
Etait, était
de l’opinion. Comment
nous sommes-nous attrapés
- attrapés par
ces
mains ?
C’était aussi écrit que.
Où ? Nous
avons mis là-dessus un silence,
calmé au sein, allaité de poison, grand,
un
silence
vert, un sépale, y était
accrochée une idée de flore –
vert, oui,
accrochée, oui,
sous un ciel
mauvais.
Accrochée
oui, de flore
Oui.
Cyclones, chaos, tour-
billons de particules, il restait
du temps, restait,
d’essayer auprès de la pierre – elle
fut hospitalière, elle
ne coupait pas la parole.
Ah comme ce fut bon :
grenu
grenu et fibreux. Tigeux,
serré ;
grappeux er rayonneux ; rognonné,
lisse et
grumeleux ; lâche, ra –
mifié - : elle, çà
ne coupait pas la parole, çà
parlait,
çà parlait volontiers aux yeux secs avant de les fermer.
Parlait, parlait.
Etait, était.
Nous
n’avons pas lâché, sommes restés
dedans, une seule et même
construction de pores, puis
c’est venu.
C’est venu à nous, c’est
passé au travers, a réparé
invisiblement, fait des réparations
sur la dernière membrane,
et
le monde, mille-cristal,
a déferlé, déferlé.
*
Déferlé, déferlé.
Et –
Nuits, dé-mêlées. Cercles,
verts ou bleus, carrés
rouges : le
monde dans la
partie jouée avec les heures nouvelles
mise ce qu’il a de plus intime. – Cercles,
rouges ou noirs, carrés
clairs, pas
d’ombre de vol,
pas de table de mesure, pas
d’âme de fumée qui monte et se joint au jeu.
*
Monte et
se joint au jeu…
Dans l’envol de la chouette, sur
la lèpre pétrifiée,
sur nos
mains enfuies, dans
le dernier des rejets,
au-dessus du
pare-balles contre
le mur éboulé :
visibles, à
nouveau : les
rainures, les
chœurs, autrefois, les
psaumes. Ho, ho –
sanna.
Ainsi donc,
il y a encore des temples debout. Une
étoile
a bien encore de la lumière.
Rien,
rien n’est perdu.
Ho-
sanna.
Dans l’envol de la chouette, ici,
les dialogues, gris-jour,
des traces d’eaux souterraines.
*
(- - gris jour,
des
traces d’eaux souterraines.
*
Dé-placé dans
le territoire
à la trace non trompeuse :
Herbe.
Herbe,
écriture désarticulée.)
Traduit de l’allemand par Jean – Pierre Lefebvre
In, Paul Celan :« Choix de poèmes, réunis par l’auteur,
Edition bilingue »
Edition Gallimard (Poésie), 1998,
Du même auteur :
Fugue de mort / Todesfuge (1/12/2014)
Matière de Bretagne (01/12/2016)
Le Menhir (01/12/2017)
« Voix... / Stimmen... » (01/12/2018)
Psaume / Psalm (01/12/2019)
Eloge du lointain / Lob der Ferne (01/12/2020)
« La nuit, quand le pendule de l’amour... » / « Nachts, wenn das Pendel der Liebe... » (01/12/2021)
Port / Hafen (01/12/2022)
« Dans la matière des anges... » (01/12/2023)
Engfürhrung
*
Verbracht ins
Gelände
mit der untrüglichen Spur:
Gras, auseinandergeschrieben. Die Steine, weiß,
mit den Schatten der Halme:
Lies nicht mehr – schau!
Schau nicht mehr – geh!
Geh, deine Stunde
hat keine Schwestern, du bist –
bist zuhause. Ein Rad, langsam,
rollt aus sich selber, die Speichen
klettern,
klettern auf schwärzlichem Feld, die Nacht
braucht keine Sterne, nirgends
fragt es nach dir.
*
Nirgends
fragt es nach dir –
Der Ort, wo sie lagen, er hat
einen Namen – er hat
keinen. Sie lagen nicht dort. Etwas
lag zwischen ihnen. Sie
sahn nicht hindurch.
Sahn nicht, nein,
redeten von
Worten. Keines
erwachte, der
Schlaf
kam über sie.
*
Kam, kam. Nirgends
fragt es –
Ich bins, ich,
ich lag zwischen euch, ich war
offen, war
hörbar, ich tickte euch zu, euer Atem
gehorchte, ich
bin es noch immer, ihr
schlaft ja.
*
Bin es noch immer –
Jahre.
Jahre, Jahre, ein Finger
tastet hinab und hinan, tastet
umher:
Nahtstellen, fühlbar, hier
klafft es weit auseinander, hier
wuchs es wieder zusammen - wer
deckte es zu?
*
Deckte es
zu – wer?
Kam, kam.
Kam ein Wort, kam,
kam durch die Nacht,
wollt leuchten, wollt leuchten.
Asche.
Asche, Asche.
Nacht.
Nacht-und-Nacht. – Zum
Aug geh, zum feuchten.
*
Zum
Aug geh,
zum feuchten –
Orkane.
Orkane, von je,
Partikelgestöber, das andre,
du
weißts ja, wir
lasens im Buche, war
Meinung.
War, war
Meinung. Wie
faßten wir uns
an – an mit
diesen
Händen?
Es stand auch geschrieben, daß.
Wo? Wir
taten ein Schweigen darüber,
giftgestillt, groß,
ein
grünes
Schweigen, ein Kelchblatt, es
hing ein Gedanke an Pflanzliches dran –
grün, ja
hing, ja
unter hämischem
Himmel.
An, ja,
Pflanzliches.
Ja.
Orkane, Par-
tikelgestöber, es blieb
Zeit, blieb,
es beim Stein zu versuchen – er
war gastlich, er
fiel nicht ins Wort. Wie
gut wir es hatten:
Körnig,
körnig und faserig. Stengelig,
dicht;
traubig und strahlig; nierig,
plattig und
klumpig; locker, ver-
ästelt –: er, es
fiel nicht ins Wort, es
sprach,
sprach gerne zu trockenen Augen, eh es sie schloß.
Sprach, sprach.
War, war.
Wir
ließen nicht locker, standen
inmitten, ein
Porenbau, und
es kam.
Kam auf uns zu, kam
hindurch, flickte
unsichtbar, flickte
an der letzten Membran,
und
die Welt, ein Tausendkristall,
schoß an, schoß an.
*
Schoß an, schoß an.
Dann –
Nächte, entmischt. Kreise,
grün oder blau, rote
Quadrate: die
Welt setzt ihr Innerstes ein
im Spiel mit den neuen
Stunden. – Kreise,
rot oder schwarz, helle
Quadrate, kein
Flugschatten,
kein
Meßtisch, keine
Rauchseele steigt und spielt mit.
*
Steigt und
spielt mit -
In der Eulenflucht, beim
versteinerten Aussatz,
bei
unsern geflohenen Händen, in
der jüngsten Verwerfung,
überm
Kugelfang an
der verschütteten Mauer:
sichtbar, aufs
neue: die
Rillen, die
Chöre, damals, die
Psalmen. Ho, ho-
sianna.
Also
stehen noch Tempel. Ein
Stern
hat wohl noch Licht.
Nichts,
nichts ist verloren.
Ho-
sianna.
In der Eulenflucht, hier,
die Gespräche, taggrau,
der Grundwasserspuren.
*
(– – taggrau,
der
Grundwasserspuren –
Verbracht
ins Gelände
mit
der untrüglichen
Spur:
Gras.
Gras,
auseinandergeschrieben.)
Sprachgitter,
Fischer Verlag, Frankfurt, 1959
Poème précédent en allemand :
Wolfdietrich Schnurre : Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (I) (28/11/2015)
Poème suivant en allemand :
Novalis (1772 – 1801) : « Quand ce ne seront plus les nombres et les figures » / « Wenn nicht mehr Zahlen und Figuren » (01/02/2016)