Saison dorée
Si c’est l’automne maintenant
C’est bien celui de notre vie,
Saison dorée qui permet au fruit mûr de rester intact dans sa parure
L’herbe à peine jaunit
Et le vent messager
Pousse du pied les feuilles sèches.
Gloire ! Dans l’air claquent des fouets.
Les chevaux du temps se cabrent à ma porte
Et , sur le pré, le poirier sauvage surchargé s’est incliné.
Passez, automne !
Je sais des sentiers sur les hauteurs où l’on converse familièrement avec Dieu,
Où les épeires des jardins bâtissent des radars solaires où se prend la rosée.
Une mort bûcheronne m’a peut-être marqué au front,
Me couronne.
Je vais en rire et payer mon écot de chansons.
Gloire ! Mes flammes n’ont rien à envier à l’enfer
Il n’est pas d’enfer dans l’amour,
Mais, simplement, lieux où les blessures
Fructifient, comme les mûres des ronciers et les arbouses.
Je sais désormais tout par cœur.
Ma main est remontée vers le jardin des Hespérides.
La nuit donne son jeu d’étoiles,
Porte la Grande Ourse en sautoir.
Bientôt je serai son prophète.
Nous ne flânerons pas sur les berges du vent. Il n’est plus pour nous.
Pas plus que le matin réveillé en brouillard auprès des sources
Pareil à ces voiles d mariées piquetés de feuilles rousses et de colchiques.
Nous marcherons ensemble avec la solitude
Comme un grand chien à nos côtés.
J’aurai la géographie sentimentale. J’écouterai
L’élégie de l’ombre auprès des chênes,
La voix rauque de cinq heures du soir
Quand, au couchant les métairies s’enflamment.
Les taureaux du sang devenir fous.
Nous ne nous fierons plus aux livres anciens qui chantent le désarroi.
Rythmiques, passent les chansons.
Une femme confie au vent sa lingerie.
Et les baigneuses de Septembre reviennent de la plage avec des
chevelures de comètes.
Vont venir, battant au champ, les tambours voilés
De l’âge d’or en son apothéose.
Car c’est l’heure de lancer l’amarre, d’arrimer dans le premier décan
La voile de la saison où le Soleil, comme un navire, entre dans la Balance.
Les vents vont se calmer.
A vous, mes butineuses, d’engranger le monde.
Au trésor,
J’apporte ma journée sur l’épaule comme un grain d’orge.
Les obliques rayons du soir se réfractent, se brisent.
Les Sébastien du songe se nimbent de flèches d’or.
Bienheureuse, suppliciée des rires et des lèvres,
Adorée et broyée,
En nous toute une race chante
Sur l’échelle des fumées qui monte des bûchers
Où les poètes s’envolaient, pleurés par de saintes femmes,
Chantés par les guitares flamenco.
Car le verbe est synonyme de la chair
Et voici que la chair est triste.
Et quelqu’un crie.
Vous aurez fait de moi, sur un porche roman
Un scribe portant la palme.
J’écrivais ce que dictait la lumière.
Et la terre va devenir cathédrale et nef d’or
Sur l’enluminure d’un livre d’heures que couronne un château d’âme
Avec dans ses marges des squelettes laboureurs chantant
Le chant de l’appareillage.
Je suis votre frère et je m’appelle Jean.
Provisoirement
J’habite une cabane au bord d’une route.
Les trésors naturels ont accouru vers moi.
Le jour avec Apollon sur un tracteur empli de paille,
Le soir, avec Hécate, la secrète, à la fenêtre.
Quelqu’un parle.
Peut-être l’eau qui se souvient de l’océan dans la fontaine
Ou bien la fée rougissante, prisonnière dans l’érable.
Quelqu’un pleure.
Ce n’est pas nous.
Nous sommes de la race des lanceurs de couteaux.
Les Maisons de feuillages
Editions Saint-Germain-des-Prés, 1976
Du même auteur :
Le veilleur (14/11/2014)
Nuit d’herbe (14/11/2016)
La joie (14/11/2017)
Le plus beau jour (14/11/2018)
Levée en masse (14/11/2019)
Le mal du temps (13/11/2020)
Pays natal (13/11/2021)
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