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Le bar à poèmes
19 juillet 2015

Jean Vladislav (1923 – 2009) : Brumes

OB48f030_vladislav1[1]

Brumes

 

1

De nouveau, cheminées

fumant dans la brume

du matin. De nouveau,

feuilles, jours

de l’arbre mis à nu

rasant en volée

dans ta rue déserte

le pavé mouillé

de l’aube. Et de nouveau

cœur, plaie palpitante,

blotti entre les livres,

qui ne pense qu’à toi

près du feu mi-éteint

et glaçant. Mais hors de ces jours

s’écroulant sous ton poids, il n’y a

pas de jours.

 

2

Cruautés du bonheur

que tu m’apprends,

cruautés de l’amour

dont tu m’accables :

voudrais-tu donc

que je ne sois qu’une torche

de résine qui brûle

de hautes flammes ? Mais je ne peux

brûler plus haut. Je ne peux

que tomber consumé

en cendres. Que ma dernière

goutte de résine

te dévore en feu,

toi aussi.

 

3

Clôture, vigne vierge,

et en haut, bruni et mouillé ,

le mur. Fenêtres, la tienne

et deux autres, suintant

maintenant dans la brume.

Viel arbre du trottoir, brun,

sanglant. Et le réverbère

qui clignote et secoue

dans l’herbe une ombre

toujours plus trouée,

comme est la vie d’ici. Telles sont

les sentinelles. Mais notre ombre,

elle, n’est pas différente : trous

et brûlures de la vie –

on sait bien.

 

4

Cruautés du regret

que tu m’apprends,

cruautés du désir

dont tu m’accables :

voudrais-tu donc

que je danse de désir

jusque sur la pointe

d’une aiguille ? Mais je ne peux

plus faire un pas. Je ne peux

que faire le grand saut.

Quand je renverserai la chaise

puissé-je t’entraîner avec,

toi aussi.

 

5

Clôture, et, devant,

pavés où je tarde

et piétine. Des pas, comme

des coups de crosse sur la terre

mouillée des fossés. Près du chemin,

dans la marre de son sang,

l’arbre meurt. Des pas et la nuit,

sifflant dans le fourré

d’en face. Et au-dessus

dans la brume fenêtre

et branches mouillant

toute la nuit. Toute

la nuit : ne nous entends-tu pas,

mouillés jusqu’aux os,

nous entends-tu jamais,

par la fenêtre, appeler

au secours ?

 

6

Cruautés des pleurs

que tu m’apprends,

cruautés du mensonge

dont tu m’accables :

voudrais-tu donc

que je me crève les yeux      

et garde assez de force

pour croire ? Mais je ne peux plus

même crier. Je ne peux

que saisir mon destin,

ton cou, pour étrangler

ce malheur.

 

7

Tout le monde appelle

au secours, qui respire

et vit. Tout le monde. Celui-ci même

qui tue, crie au secours

mais avant tout autre

autour de lui, avant tout autre

autour de moi. Puis nous le jugeons

d’un cœur où gonfle

le désir cruel, le même,

de prendre ce lambeau

sanglant de la vie

au cou, et de serrer. Tout le monde

appelle au secours. Celui-ci même

qui tue et veut vivre,

au moins comme ça.

 

Traduit du tchèque par Xavier Galmiche,

en collaboration avec l’auteur.

Soliloques, 1950-1960

Atelier La  Feugraie, 14770 Saint-Pierre-la-Vieille, 1995

 

Du même auteur :

Laisses (06/07/2016)

Suite d’automne (06/07/2017)

 

Soliloques (06/07/2018)

 

 

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Commentaires
P
buon pomeriggio,<br /> <br /> Jan era un mio caro amico, andavo sempre a trovarlo a Praga... ho chiesto alla mia amica Andreina Mancini di tradurre "Brume". A lui sarebbe piaciuto. Lo ricordo sul sito dedicato a Dino Campana, che Jan ha tradotto per primo al mondo... un saluto dall'Italia
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