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Le bar à poèmes
8 juin 2015

Ilarie Voronca (1903-1946) : Mon peuple fantôme

 

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Mon peuple fantôme

A J. Déesse

 

Entre mer et terre. Entre pierres et ciel.

Avec le pain jaune de la route. Avec le vin rouillé de la forêt

Voilà mon ouvrage accompli. Et les outils de travail

Sont devenus des instruments de musique.

 

C’est ainsi

Qu’à travers la flamme de la mémoire les objets se changent en

     paroles.

Sur le promontoire, ici, dernier vestige de l’homme.

Rencontre.

Le vent jette dans l’écume ses épées d’eaux

Solitude coupée géométriquement par les oiseaux

Qu’ici donc les visages de la vie se montrent.

 

Le soleil tombé dans mon oeil salé. Face

Aux algues chevelues et aux cortèges de poissons

Mon visage fêlé par le vent comme le bord d’une tasse,

Sur mes lèvres serrées : aube ou crépuscule comme un son.

 

Sans filets, sans armes

De chasse. Collé aux rochers. Vers le Sud

Les aigles d’écumes. Seul avec mon travail accompli entre terre

     et larmes.

Les cannes à pêche sont devenues des harpes. Les fusils des

     flûtes.

 

Mais le coeur est la barque éternelle d’Ulysse

Qui touche dans son rêve tant d’îles,

Dans les veines, de nouveaux archipels surgissent,

Une parole, un rire, font naître une ville.

 

Là sur le promontoire j’attendais ces passages

D’îles : oiseaux étranges jaillis d’entre les cordes

Je te reconnaîtrai fantôme entre ces bâches

Des terres nomades. Là près du Peuple Etranger dont la patrie est

     morte

Est ma place. Là sur l’Ile fantôme

Je viendrai avec mes instruments de musique. Avec ma journée

    accomplie.

 

Temps d’exil ? Non. Fuite à travers les glaciers du "¨sommeil ? Non.

Le ver de la souffrance tordu dans la pomme de cette blessure.

 

Mais jusqu’alors : sans armes, sans outils, sur cette

Pierre : extrême limite du continent

Entre rochers et flots qui rejettent

Le lait blanc de l’écume jusqu’à ma faim, jusqu’au vent,

 

Ici. Loin de l’homme implacable. Loin

Des distributeurs de terre. Sans retour. Sans fuite.

La voix oubliée en moi comme une lettre dans un livre

J’attends mon peuple fantôme, mon île-fantôme.

 

Patmos,

Edition des Cahiers libres, 1934

 

Du même auteur :

Eloge du silence (08/06/2016)

Fragments (08/06/2017)

Mes amis, mes montagnes (08/06/2018)

Amitié du poète (08/06/2019)

 « Quand nos âmes seront réunies... » (08/06/2020)

A l’inconnue (08/06/2021)

« Sous nos fenêtres les jardins... » (02/12/2021)

Campagne (08/06/2022)

Le bal des coraux / Balul coraliilor (08/06/2023)

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