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Le bar à poèmes
24 avril 2015

Georges Ribemont – Dessaignes (1894 – 1974) : Bohémienne 1940

 

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Bohémienne 1940 

 

Il n’y a plus de villes, les routes sont pleines

Les lits se sont vidés, ô beaux amours déserts,

On a vidé la salle et soufflé sur les cendres,

On a tiré la nappe et la ville se casse

Au flanc de la panique, au sourire du ciel.

Allez, berceaux, flottez sur les eaux sans sommeil,

Loin d’un nord privé de l’étoile boréale

Allez, femmes, volez vers quelles oasis

Ou vous dormirez dans les souvenirs d’amour

Au coin d’une place lourde et pleine de douleurs

Parmi les vains débris de moites opulences.

Où dormirons ce soir tous les enfants perdus ?

Où dormira la mère au sein gonflé de vents ?

Oh ! ce lait sans emploi qui va s’éteindre au ciel.

O nébuleuse voile au mât du grand navire,

Parmi l’Ourse, Orlon, la Licorne et le Cygne

Immense clignement de cet œil noir sans cils,

Etoiles luisant au regard des égarés,

Figures du destin. Voici la bohémienne,

Comme si ce n’était pas assez de ce ciel

Pour couronner les fleurs, le sang, la faim des hommes,

Il faut encore offrir les lignes de la main

Aux yeux où se fige la brume des désastres.

O cœur perdu d’un cœur et perdu sans espoir

O mère d’un mort-né qui laisse ton sang noir

Fleurir l’herbe d’un pré sur le bord de la route,

O vieux corps chassé par le souffle de la mort,

N’avez-vous pas compris qu’elle est là, bohémienne,

Epiant vos désirs épars au coin des lèvres

Pour tirer du néant jusqu’à votre haleine

Les mortelles glaces de la bonne aventure,

Car si voici le jour des tristes jamais plus,

Ecoutez dans l’air se balancer les murmures

Et la feuille et l’oiseau, signes de l’avenir.

Dans le marc de café de toutes ces douleurs,

Dans les cartes verdies au sel de tant de larmes,

Voyez, un jour est né, un jour viendra, un jour,

Car rien n’est terminé, rien n’est fini, Seigneur,

La rose se flétrit et la rose s’effeuille,

En vain qu’ouvre-t-elle aux vivants, la bohémienne ?

Je respire et je veille et je souffre et je rêve,

Mais aux morts que Dieu fit n’a-t-elle rien à dire ?

Un jour viendra qu’enfin finira l’aventure.

 

In,  Revue « Poésie 42, N°1 », Villeneuve-les-Avignon,1941

 

Du même auteur :

A la tourterelle (24/04/2016)

« Il y avait un grand silence… » (24/03/2017)

Se confondre (24/04/2018)

« Ils sont revenus, les morts... » (24/04/2019)

Attente (24/04/2020)

Sérénade à quelques faussaires (07/09/2021) 

 

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