Vilém Závada (1905 – 1982) : L’attente de l’enlèvement
L’attente de l’enlèvement
Dans ces heures d’après-midi
qui déjà préludent au crépuscule
quelqu’un joue au piano
une musique de nostalgie plaintive
où se brise mélodieusement
quelque chose de plus fragile qu’un cristal,
d’aussi fragile qu’une âme.
Les fenêtres une par une s’éclairent
et derrière s’enflamment les yeux de femmes,
comme si quelqu’un allait
d’une pièce à l’autre
et allumait
pour quelqu’un
qu’elles s’attendraient à voir, le soir même,
venir sous leurs fenêtres
pour les enlever.
Sombre et ardent,
fier, passionné,
un cracheur de feu
et avaleur de sabres,
grandi dans la rue,
qui avec colère et tristesse
montait la garde sous les gouttières
alors qu’à l’intérieur
on faisait la fête.
Peut-être était-ce la vie
Un messie, qui sait.
Tout ruisselant de nuit.
Rayonnant de clarté.
Personne ne l’ayant reconnu,
il s’en est allé plus loin
pour ne jamais revenir.
Derrière les rideaux des salons
de jeunes filles blêmes, blotties
écrasent sous leurs paupières
des larmes diamantines
et leurs mères,
ces splendides égoïstes,
reines de fêtes et de premières,
de réceptions d’ambassade
et de garden-parties de charité,
ferraillant de leurs robes d’argent,
parées des bijoux de baisers,
ayant claqué la porte de l’espoir
avec une vaste traîne de soupirs
pas à pas descendent l’escalier
vers les hospices de la vieillesse.
Ville de lumière, 1950
Traduit du tchèque par Petr Kràl
In, « Anthologie de la poésie tchèque contemporaine, 1945-2000 »
Editions Gallimard (Poésie), 2002