Poussière de Juillet
Le sang
Reprend racine
Oui
Nous avons tout oublié
Mais notre terre
En enfance tombée
Sa vieille ardeur se rallume
Et même fusillés
Les hommes s’arrachent à la terre
Et même fusillés
Ils tirent la terre à eux
Comme une couverture
Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir
Et sous la couverture
Aux grands trous étoilés
Il y a tant de morts
Tenant les arbres par la racine
Le cœur entre les dents
Il y a tant de morts
Crachant la terre par la poitrine
Pour si peu de poussière
Qui nous monte à la gorge
Avec ce vent de feu
Ainsi qu’un boulet rouge
Aveugle
Sans retour
Quel ancêtre abattu t’oublia dans son crâne
Fleur de poussière éclose aux lèvres du Rhummel
Laitance d’enfant sevré
Qui fit pousser nos dents toutes neuves ?
Tant de fois abattu
L’ancêtre au loin s’obstine
Sa tête
Au fond du fleuve
Et du soleil
Détale
Et la tête tranchée n’a pas subi l’éclipse
N’a pas cessé de luire ainsi qu’un boulet rouge
Issu d’un autre orage et d’une autre tribu
N’enterrez pas l’ancêtre
Tant de fois abattu
Laissez-le renouer la trame de son massacre
Il ne renonce pas
A déserter son ombre
L’orphelin de Grenade
Mûri en étranger
Ni à faire éclater son cœur entre nos dents
N’enterrez pas l’ancêtre tant de fois abattu
Le cavalier qui gronde et sourit dans son gouffre
Après nous il galope
Rouge et noir jour et nuit
En un renversement amer et lumineux
N’enterrez pas l’ancêtre
Sauvagement abattu
Il ne renonce pas à la lumière
Ce possesseur des renversements amers de l’iris
Tout près du vieux requin
Qu’habitent ses victimes
Près de l’ancêtre muré vif
Git le secret de l’être
Atroce inespéré
N’enterrez pas l’ancêtre
Il dort
Sur un tableau de roc
Il déroule d’autres désastres
Pour les adolescents
Assis sur son coursier
Et il retourne l’un après l’autre
Trop de visages d’enfants précoces
Qui auraient pu être les siens
Il suspend dans l’orage
Le rire de la cascade
Sur le Rhummel trahi
Et muet il écoute
Ainsi qu’un ouragan allongé sur sa lance
Mais qu’avons –nous l’un après l’autre à tomber devant lui ?
Pareil au javelot tremblant
Qui le transperce
Nous ramenons à notre gorge
La longue escorte des assassins
Révolution africaine, Paris, 24 juillet 1964