Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bar à poèmes
15 mars 2015

Jacques Charpier (1926 - ) : L’ Accordée

!CDr,tBQB2k~$(KGrHqQOKnUEz1dgbgg7BNP,e-y3(Q~~_35[1]

L’Accordée

 

Souvenez-vous de cette plage, où l’armée bleue du soir chantait sur notre

   bouche…

Nous regardions la mer, la mer du sire de Joinville et du jeune Sindbad .

N’était-ce pas assez que de la voir, ainsi rêveuse d’un désir inavoué,

   longuement nous sourire ?

 

Dans l’odeur de thé vert du printemps, vous étiez là, pareille à l’un de ces

   êtres lointains,

Dont la plume, posée sur les lèvres, rend fou de bonheur :

Celui-ci d’Australie et dont les ailes sont de bronze très  léger

L’Aracari crêté de lune, le Green Lory qui ne s’abreuve que des larmes de roi,

La Pulchella qui siffle comme foudre au cœur des hommes vieillissants,

Le Moineau somptuaire des îles Norfolk, portant nouvelles de Vieux Monde,

Celle à qui le respect des plus grands est acquis et que l’on a nommé

   demoiselle   de Numidie,

Ou le paradisier riant sous la fontaine de ses plumes,

Ou bien l’Ara qui s’est vêtu de l’écume du ciel…

Mais non : vous étiez, ce soir-là, sœur du King Solomon’s Lily.

Et telle vous aimais-je !

 

Vous étiez là, seule cité dans le désert et vérité chantante au seuil de

   cette nuit.

J’avais lu, dans le livre immense  et transparent que vous m’aviez traduit

L’odyssée de moi-même en moi-même égaré :

Je jetais loin de moi les cendres de mon cœur…

Vous étiez mon nouvel Orient, cette île non trouvée des compagnons de

   Saint Brandan,

Dont rêvaient, comme moi de vous qui étiez là, les hommes de jadis,

Aux plages de Palma ou bien de Santa Cruz !

 

Mais nous, sur cette plage où le vaisseau du Temps carguait ses voiles,

Avions réduit le Minotaure en vasselage,

La terreur de vieillir n’était sur notre face, mails l’aile de l’instant ;

Et de ce corps qui était vôtre et couleur d’une antique monnaie exhumée

   par les flots,

Les Cerbères d’amour veillaient sur notre jeunesse.

J’étais présent, à vous, au monde et à moî-même.

Vous étiez évidente aux yeux de mon désir comme l’épiphanie lunaire

   sur les eaux.

La planète du soir nous racontait ses longs périples,

Le vent portait au loin notre poudre future…

 

Savais-je où nous entrainerait la roue géante du hasard, qui commençait

   alors sa course.

Et de quelle alliance allions-nous l’un et l’autre, un jour, être liés

A quelle servitude être voués ?

Savais-je que la Terre pour nous mûrissait une parole décisive ?

Des invisibles messagers nous préparaient pourtant, à l’autre bout du

   monde, un lit fidèle,

Et ce nom, que plus tard je devais vous donner, de ville en ville le

   printemps allait le murmurant.

 

Je me penchais vers vous, comme une épée à mon côté

Le beau proverbe de mes ans,

Et une diane de silence au cœur d’un noir vacarme.

Vous étiez source de perfection de toute chose sous ma bouche…

 

L’étendard des étoiles alors sur nous s’est déplié !

 

 

L’Honoré du temps, Editions de la Table Ronde,1977

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bar à poèmes
Publicité
Archives
Newsletter
96 abonnés
Publicité