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Le bar à poèmes
15 décembre 2014

Jean – Luc Parant (1944 -) : Le monde de l’homme

parant_Corti[1]

Le monde de l’homme

 

     L’homme est le monde et le monde existe devant lui parce - qu’il

existe devant le monde. Quand il touche ce que ses yeux voient il touche             

ses propres yeux et il fait la nuit sur son corps et sur le monde. L’homme

se touche pour toucher le monde, et le monde tout entier le recouvre

complètement.

     Chaque homme voit ce que l’autre ne voit pas parce qu’il n’y a pas un

seul monde pour tous mais un monde pour chacun. Avec ce que tous les

hommes voient du monde, cela fait le monde. Le monde n’est pas seulement

ce que l’homme voit, mais ce que tous les hommes ont vu depuis le début des

temps et ce que tous en verront jusqu’à la fin de l’homme.

     Le monde apparaît et disparaît, devant l’homme il s’allume et s’éteint pour

apparaître et disparaître sans cesse. L’homme compte le jour et la nuit, il compte

que le monde n’en finit pas d’appeler le monde. Dans les yeux de l’homme

l’infini est là pour colorer le ciel d’une infinité de soleils.

     Le vent est le souffle de l’homme parce que l’homme est le monde et que

son souffle est le vent. Sans l’homme il n’y aurait plus de monde et la terre ne

serait plus qu’une boule obscure perdue dans l’univers sans fin. Pour vivre,

l’homme tient ses yeux dans le soleil et ses yeux retiennent le feu dans le ciel

et font renaître le monde à tout moment devant lui.

     L’homme court dans sa tête, il ne s’arrête pas de courir en elle pour que le

monde ne s’arrête pas de tourner autour du soleil. L’homme tourne dans sa tête,

il va si vite qu’il se lève et se couche comme s’il faisait le tour de la terre. Il

ouvre et ferme les yeux pour se lever et se coucher dans le jour et la nuit.

     L’homme vit en lui, et en lui sa mort n’est pas seulement la fin de son

propre corps mais aussi la fin de tous les autres, la fin du monde que chaque

homme porte comme il porte la terre sous ses pieds, ou l’obscurité qui retient

son corps au sol.

     L’homme sait que seul l’amour le sauve et le perpétue indéfiniment dans la

nuit. Avec l’amour il entre partout pour s’introduire dans tout jusqu’à pénétrer

le monde dans une jouissance continue. Car il sait aussi que si avant la vie il

n’y eut rien qu’il ne sût, après la mort non plus.

     Si l’homme ne sait pas s’il est ou non le seul être humain dans l’univers

c’est parce qu’il pense et qu’il est libre de penser s’il est ou non le seul homme.

S’il le savait il ne penserait plus. L’homme pense parce qu’il ne sait pas.

L’image la plus juste de l’infini c’est de ne pas savoir.

     L’homme cherche devant lui ce qui a pu l’amener jusque-là, et il voit que

rien ne s’arrête au-delà : le vide illimité qui l’entoure n’engendre en lui qu’un

mouvement démesuré qui le fait avancer si vite qu’il se projette hors de lui.

Les yeux écarquillés il plonge tout entier dans le feu. Il perd sa peau, la chair

de son corps s’échappe et se répand sur un espace immense. Il devient sans

forme et du même coup la ligne d’horizon se brise, tout devient sans fin. Il

pense comme personne n’a jamais pensé. Sa pensée ne se contient nulle part,

elle emplit l’infini. L’homme est libre dans l’espace qu’il invente.

 

Les animaux, les enfants, les femmes, les hommes.

Editions de la Différence, 1991

 

Du même auteur :

« L’Homme est nu… » (15/12/2015)

« Je pensais que l'on pouvait penser... » (27/06/2018)

 

 

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Commentaires
N
Merci toujours encore et encore pour votre blog...je découvre aujourd'hui Jean Luc Parant grâce à vous. Ce texte est fabuleux et me parle énormèment ....j'en profite pour vous souhaiter une très belle fête de fin d'année. Amicalement . Nath
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