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Le bar à poèmes
6 décembre 2014

Maurice Roche (1924 – 1997) : « Je vis la mort à chaque instant… »

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Je vis la mort à chaque instant. J’ai le sentiment d’être venu au monde avec elle dans le

crâne. Cela est déterminé sans doute par mon patrimoine génétique et dû aussi peut-être

à l’influence de mon milieu. Dans ma famille, depuis la plus haute Antiquité, on a rendu

l’âme tant et tant de fois que çà a fini par devenir héréditaire.

 

 

Jour après jour, je rêvais mes ténèbres; au fur  de mes nuits blanches,j'imaginais

le grand sommeil - la camarde ayant eu le dernier mot de la fin.     Le terme

    (achèvement     dénouement   catastrophe   conclusion   ) ; le terme : point

final redouté (?), point d'exclamation de surprise (.), point d'interrogation angoissant (!),

point d'orgue sur le futur     le silence du vide infini (...)    

 

 

Maintenant, il attend son heure - la dernière.. Il ne peut, avant de clamser, clamer

son innocence ni demander grâce (de toute façon, il est aphone), non plus que de

rédiger une supplique pour faire réviser un procès ou réclamer une sentence moratoire

(pas le temps et il ne voit plus clair)/ Atteint, au dire des médecins, d'un mal incurable

autant que merveilleux qu'il ressent jusque dans le mot désignant ce mal, il ne

souffre pas de souffrir.

 

 

Plus on vieillit et moin on éprouve la force de mourir.

 

J'ai mal, donc je vis.

 

Par moments, ne sentant plus mon corps bourré de sédatifs, je tends tout ce

qui me reste d'énergie afin de rester éveillé, sachant bien que, si je m'endors,  

 


                                  Dans mon sommeil, cette créature

                        De rêve me disait : " Je n'ai DIEU  

                        Que pour toi. "   Et au réveil, quel VIDE

                        Tu fais!... pour jamais aider personne.


 

 
   

          je ne reverrai plus le jour.

Aussi dès que la douleur se manifeste, je me sens plus tranquille (!) - rassuré...

 

J'ai envie de crier. Mais le cri - enfoncé profondément - vissé; toutes les fibres

d'une velléité de cri se resserrent se referment avec force, et rien n'existe plus

que le désir coincé de cri étranglé par lui-même.

 

Mais je m'accroche à cette présence "qui ressemble à la grâce en ce qu'elle est

une élection gratuite...".

 

Je retiens mon souffle (dangereux?)

 

Je ferme les yeux (risqué!)

 

Je la savoure.

 

Je ne vais pas bien, mais il faut que j’y aille.

Editions du Seuil, 1987

 

Du même auteur :

« Tu perdras le sommeil … » (06/12/2015)

« J’ai tellement eu faim… » (06/12/2016)

« Je    suis   un   malade, … »  (06/12/2017)

« La douleur qui, peut-être... » (06/12/2018)

 

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