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Le bar à poèmes
1 décembre 2014

Paul Celan (1920 -1970) : Fugue de mort / Todesfuge


 

paul[1]Fugue de mort

 

 

Lait noir de l’aube nous le buvons le soir

nous le buvons midi et matin nous le buvons la nuit

nous buvons nous buvons

nous creusons une tombe dans les airs on n’y est pas couché à l’étroit

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand vient le sombre crépuscule en Allemagne tes cheveux d’or Margarete

il écrit cela et va à sa porte et les étoiles fulminent il siffle ses dogues

il siffle pour appeler ses Juifs et fait creuser une tombe dans la terre

il ordonne jouez et qu’on y danse

 

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir

nous buvons nous buvons

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand vient le sombre crépuscule en Allemagne tes cheveux d’or Margarete

Tes cheveux de cendre Sulamith nous creusons

une tombe dans les airs on n’y est pas couché à l’étroit

 

 

Il crie creusez la Terre plus profond vous les uns et vous les autres chantez et jouez

de son ceinturon il tire le fer il le brandit ses yeux sont bleus

plus profond les bêches dans la terre vous les uns et vous les autres jouez jouez pour

qu’on y danse

 

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir

nous buvons nous buvons

un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete

tes cheveux de cendre Sulamith il joue avec les serpents

 

 

Il crie jouez doucement la mort la mort est un maître venu d’Allemagne

il crie assombrissez les accents de violons

alors vous montez en fumée dans les airs

alors vous avez une tombe au creux des nuages on n’y est pas couché à l’étroit

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

nous te buvons midi la mort est un maître venu d’Allemagne

nous te buvons soir et matin nous buvons nous buvons

la mort est un maître venu d’Allemagne son œil est bleu

elle te frappe d’une balle de plomb précise elle te frappe

un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete

il lance sur nous ses dogues il nous offre une tombe dans les airs

il joue avec les serpents et il songe la mort est un maître venu d’Allemagne

 

 

tes cheveux d’or Margarete

tes cheveux de cendre Sulamith

 

Traduit de l’allemand par Valérie Briet

In Paul Celan « Pavot et mémoire », Christian Bourgois,1987

 

Fugue de mort 

 

Lait noir de l’aube nous le buvons le soir

le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit

nous buvons et buvons

nous creusons dans le ciel une tombe on n’y est pas serré

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

écrit ces mots s’avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands

     chiens

il siffle il fait sortir ses Juifs et fait creuser dans la terre une tombe

il nous commande allons jouez pour qu’on danse 

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe on n’y est

     pas serré 

 

Il crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez 

     jouez

il attrape le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont bleus

enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu’on danse 

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons midi et le matin nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

Un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents 

 

Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d’Allemagne

il crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le ciel

vous aurez votre tombe alors dans les nuages on n’y est pas serré

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons midi la mort est un maître d’Allemagne

nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons

la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu

il te tire une balle de plomb il ne te manque pas

un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel

il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne 

 

Margarete tes cheveux d’or

tes cheveux cendre Sulamith

 

Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre

in, Paul Celan : « Choix de poèmes, réunis par l’auteur »

Editions Gallimard (Poésie), 1998

 

Psaume

 

Personne ne nous pétrira plus de terre et de glaise,

personne n’insufflera plus sa parole à notre poussière.

Personne.

Béni sois-tu, Personne.

Pour l’amour de toi

nous fleurirons.

Contre

toi.

Un néant

Nous étions, nous sommes, nous

resterons, fleurissant :

la rose du néant, la

rose de personne.

Avec

sa tige clair d’âme,

son étamine déserte de ciel

sa corolle rouge

de la parole pourpre que nous avons chantée

au-dessus, ô au-dessus

de l’épine.

 

 

Traduit de l’allemand par Stéphane Mosès

In, Revue « Po&sie, N° 124 »

Editions Belin, 2008

Du même auteur :

Strette / Engfürhrung (01/12/2015)

Matière de Bretagne (01/12/2016)

Le Menhir (01/12/2017)

 « Voix... / Stimmen... » (01/12/2018)

Psaume / Psalm (01/12/2019)

Eloge du lointain / Lob der Ferne  (01/12/2020)

« La nuit, quand le pendule de l’amour... » / « Nachts, wenn das Pendel der Liebe... » (01/12/2021)

Port / Hafen (01/12/2022)

« Dans la matière des anges... » (01/12/2023)

 

 

 

 

 

 

 

Todesfuge

Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends

wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts

wir trinken und trinken

wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete

er schreibt es und tritt vor das Haus und es blitzen die Sterne er pfeift seine

Rüden herbei

 

er pfeift seine Juden hervor läßt schaufeln ein Grab in der Erde

er befiehlt uns spielt auf nun zum Tanz

 

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich morgens und mittags wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete

Dein aschenes Haar Sulamith wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man

nicht eng

 

 

Er ruft stecht tiefer ins Erdreich ihr einen ihr andern singet und spielt

er greift nach dem Eisen im Gurt er schwingts seine Augen sind blau

stecht tiefer die Spaten ihr einen ihr andern spielt weiter zum Tanz auf

 

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags und morgens wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith er spielt mit den Schlangen

Er ruft spielt süßer den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland

er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch in die Luft

dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng

 

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland

wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken

der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau

er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft

er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister aus Deutschland

 

 

dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith

 

Bucarest, 1945.

 

Mohn und Gedächtnis,

Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, 1952

Poème précédent en allemand :

Wolfdietrich Schnurre : Adoration /Anbetung (28/11/2014)

Poème suivant en allemand :

Novalis :  « Faut-il toujours que le matin revienne ?..  » / « Muss immer der Morgen wierderkommen?... » (01/02/2015)

 

 

 

 

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