Adoration
Je ne suis pas un roi ;
ma bicyclette est posée contre cette étable
et tout ce que j’apporte, c’est l’angoisse :
tu vas fuir à présent.
L’âne a déjà fini de plonger son museau
tendre, qu’orne un anneau,
dans l’orge dorée, bientôt
plus pâle aussi sera la blancheur des colombes,
et le matin donne l’alerte.
Marie se mire
dans une boîte de conserve vide, dont le rond
déforme son image ; sa bouche s’exerce à sourire,
elle veut s’endurcir.
Le briquet que Joseph
tient contre sa pipe balafrée
fait danser les ombres, ses joues
concentrent la nuit ; sa barbe,
émaillée de sciure épaisse,
tressaute en cadence.
Tu ris.
La fumée de tabac se mêle
au parfum de myrrhe et auréole
comme un nuage aux veines bleues
la tête du taureau qu’il incline en dormant.
Ceux qui portaient ici une couronne
sont partis. Le Jourdain charrie encore
des flaques d’essence ; la vague
par respect s’est changé en acier
sous la roue. Les présents
brillent sans éclat dans la fiente ;
de son soulier de raphia Joseph les a enfoncés ;
des coupes embarrassent, quand on fuit,
et des chandeliers ne servent à rien : la lumière
est bon marché, là où l’on porte
des étoiles sur les épaules.
Seul une d’elles, qui nous appela,
s’est éteinte trop tôt :
les moutons seront de nouveau tranquilles;
repu d’étonnement, le berger enfonce
le bord de son chapeau entre l’univers et ses yeux
et tous les loups soupirent d’aise.
Tu souris encore et le trot d’un âne
va couvrir Hérode de honte, pourtant
la sonnerie stridente des téléphones
devance ta jubilation ;
seuls les persécutés sont gênés aux frontières,
mais les persécuteurs, eux, se tendent la main
par-dessus la barrière.
Le fourneau de la pipe s’est éteint ;
une dernière étincelle s’envole
dans le pelage de la vache qu’un pressentiment fait frémir.
Marie emballe les conserves,
fait un second ballot, l’enfant ;
et, grognon, Joseph me repousse
de son chemin.
Je ne suis pas un roi ;
Ma bicyclette est posée contre cette étable
et tout ce que j’ai, c’est l’angoisse :
il faut t’enfuir à présent.
Traduit de l’allemand par Raoul Bécousse
In, Wolfdietrich Schnurre, « Messages clandestins et nouveaux poèmes »,
Editions Noah, 1986
Du même auteur :
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (I) (28/11/2015)
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (II) (28/11/2016)
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (III) (28/11/2017)
Harangue du policier de banlieue pendant sa ronde du matin /Ansprache des vorortpolizisten waehrend der morgenrunde (28/11/2018)
Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (IV) (28/11/2019)
Le fils / Der Sohn (28/11/2020)
Nouveaux poèmes 1965 – 1979 (I) / Neue Gedichte 1965 – 1979 (I) (28/11/2021)
Anbetung
Ich bin kein König ;
mein Fahrrad lehnt an diesem Stall
und alles, was ich bring, ist Angst:
Du wist jeszt fliehn
Der Esel hat schon aufgehört, das zarte
reifgeschmückte Maul
ins Gerstengold zu tauchen, bald
wird auch das Weiss der Tauben blasser,
und der Morgen mahnt.
Maria spiegelt sich
in einer leeren Büchse, deren Rund
verzerrt; ihr Mund übt Lächeln,
sie will gewappnet sein.
Das Feuerzeug, dasJosef sich
an die zernarbte Pjeife hält,
lässt Schatten tanzen, seine Wangen
sammeln Nacht; der Bart,
mit Sägespänen dicht durchwirkt,
zuckt rhythmisch auf.
Du lachst.
Der Tabaksqualm mischt sich
mit Myrrhenduft und zieht
als blaue Wolkenader
dem Stier ums Haupt, das schläfrig nickt.
Die hier Kronen trugen, sind
gegangen. Der Jordan führt noch
Flecke von Benzin; zu Stahl
vor Ehrfurcht ward die Woge
unterm Rad. Die Gaben
glänzen stumpf im Kot;
der Bastschuh Josefs trat sie ein;
Pokale hindern, wenn man flieht,
und Leuchter nützen nichts : das Licht
ist billig, wo man Sterne
auf den Schultern trägt.
Nur dieser eine, der uns rief,
erlischt zu früh :
Die Schafe werden wieder ruhig ;
gestillt vom Staunen, schiebt der Hirt
die Krempe zwischen All und Aug.
und alle Wölfe atmen auf.
Noch lächelst du, und den Herodes
wird ein Eselstrott beschämen, doch
die Telefone schrillen
dein Frohlocken dir voraus;
und Grenzen hinder nur Verfolgte,
Verfolger reichen
übern Schlagbaum sich die Hand.
Der Pfeifenkopf ist ausgebrannt;
ein letzter Fünke fliegt
ins Fell der Kuh, das ahnend bebt.
Maria bündelt die Konserven,
ein zweites Bündel dann, das kind ;
und mürrisch schiebt mich
Josef aus dem Weg.
Ich bin kein König ;
mein Fahrrad lehnt an diesem Stall
und alles, was ich hab, ist Angst :
Du must jetzt fliehen.
Kassiber und neue Gedichte,
Ullstein Buch, Berrlin, 1979 et 1982
Poème précédent en allemand :
Rainer – Maria Rilke : Naissance de Vénus / Geburt der Venus (23/11/2014)
Poème suivant en allemand :
Paul Celan : Fugue de mort / Todesfuge (01/12/2014)