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Le bar à poèmes
22 novembre 2014

Jiang He / 江河 (1949 - ) : Poème inachevé

 

 

Poème inachevé

1 . Histoire millénaire

 

Je suis cloué au mur de la prison

le temps noir se condense 

corbeaux

qui se rassemblent en groupe

de chaque coin du monde

de toutes les nuits de l’Histoire

et lacèrent à mort un à un

les héros sur ce pan de mur

la souffrance des héros se transforme

en pierre

plus solitaire que les montagnes

afin d’ouvrir un chemin et de créer

afin de donner à leur race un caractère

les héros se font crucifier

le vent érode

la pluie fouette

des images indécises pointent sur le mur :

un bras, une main ou un visage

mutilés

sous la pluie des fouets

piquées et dévorées

par les ténèbres, les mains de mes frères

et celles de mes ancêtres

travaillent pesamment

s’incrustent dans le mur

s’entassent en silence

c’est à mon tour de venir

me révolter contre ce destin d’esclave

ma mort violente

fera sauter la boue qui maquille le mur

pour que tous ceux qui sont morts en silence

puissent se lever et hurler

 

 

2. Le martyr

 

Une fille va être exécutée

je suis la mère

la gueule du fusil marche vers moi

un soleil noir

vers moi

la gueule du fusil marche sur une terre

craquelée de soif

je suis un vieil arbre

je suis un doigt desséché

je suis les rides qui se crispent sur les visages

je supporte les mêmes calamités

celles que supporte la terre

un coeur est jeté sur le sol

le sang de ma fille

éclabousse la terre

chaudes coulent sur mes joues

les larmes de ma fille qui sont aussi

salées

elles sont les rivières en hiver

l'une après l'autre, elles gèlent

et s'arrêtent de chanter

je suis les soeurs, les filles et les épouses

ma robe est déchirée, mes cheveux tombent

en tourbillonnant

ce ne sont pas des feuilles

les fleurs des vagues s'écrasent sur les rochers

ma chevelure est océan

je suis les pères

je suis les époux

je suis les fils

mes mains gigantesquent remuent

dans l'océan de ma chevelure

leurs jointures craquent sourdement

je suis un navire

je suis la forêt abattue

la forêt qui renaît sauvagement. 

 

 

3. A La cour d'exécution

 

Le vent mensonger bande

les fenêtres et les yeux

le massacre est en marche

je ne puis me cacher derrère la porte

mon sang ne le permet pas

ni les enfants de l'aurore

on me jette dans la prison

menottes aux mains, fers aux pieds

mordent profondément

le fouet et le sang tissent un filet sur mon corps

ma voix est hachée

mon coeur est en feu

il brûle silencieusement

sur mes lèvres

je marche vers la cour d'exécution

et regarde avec mépris

cette nuit de l'Histoire

ce coin du monde

faute d'autre choix

j'ai choisi le ciel

il ne se décompose pas, le ciel

je dois être exécuté

sinon, les ténèbres ne pourront pas se cacher

je suis né dans les ténèbres

à la recherche de la clarté

je suis un homme à abattre

sinon, les mensonges vont être brisés

je suis contre tous

ce que la clarté ne tolère pas

y compris le silence

autour

un troupeau d'hommes amenés par la force

une foule noire de gens privés d'éclat

je suis l'un d'entre eux

je suis tous ceux qui subissent

le supplice millénaire

et j'assiste avec douleur

à ma propre exécution

je vois mon corps vidé

flot à flot

de son sang.

 

 

Traduit du chinois par James Hendger

In « Le ciel en fuite. Anthologie de la nouvelle poésie chinoise ».

Editions Circé, 2004

 

Du même auteur : Contre-jour (22/11/2015)

 

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