Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bar à poèmes
11 novembre 2014

Derek Mahon (1941 - ) : Quatre promenades dans la campagne près de Saint-Brieuc / Four walks in the country near St.-Brieuc

6764-150x150[1]

Quatre promenades dans la campagne près de Saint-Brieuc

 

1. Matin

 

La création a du être quelque chose comme çà

un jour froid qui point sur les pierres muettes,

plus lent que le temps, spectaculaire par seule démesure.

D’abord les ténèbres et puis, savoir comment, la lumière :

celle-ci nous l’appelons le jour, l’autre, la nuit,

et nous guettons en vain la seconde où le soleil paraît.

 

Soudain, tout prêt, un sabot claque –

Une vielle femme parmi les formes premières

vaque dans le champ de lumière, sombrement vêtue.

Elle lance : « Bonjour », puisqu’il en est aussi de mauvais,

et regarde à terre. Elle en a vu dix mille

peut-être, de ces aubes ; çà ne l’impressionne plus.

 

 

2. L’homme et l’oiseau

 

 Tous s’envolent à mon approche

comme ils le font depuis toujours

épient cachés dans le fourré

la sournoise intrusion de l’homme.

 

Malgré mon message sifflé,

je suis présumé malveillant ;

nul ne leur fait de mal ; pourtant,

la vieille peur est toujours là,

 

Ce qui heurte mon amour-propre,

métèque éclairé que je suis,

et rend plus vaste encor l’abîme

de leur monde à celui des hommes.

 

C’est bien excusable après tout :

nous les tirons sans préavis,

ou les moquons d’un cri d’oiseau

compris ni par eux ni par nous

 

3. Après Minuit

 

Ils m’encerclent dans le noir

Leurs griffes guettent le trublion endormi –

 

Bêtes des champs, oiseaux de l’air,

Leurs yeux bridés luisent partout.

 

Homme je suis, fils de mes œuvres,

Et n’ai plus rien à dire à ceux

 

Qui ont croisé mon enfance bourbeuse.

Nous avons tous grandi de notre mieux.

 

4. Exit Molloy

 

La fin venue, je sens les odeurs du printemps

Dans le fossé obscur où j’hiverne,

Et la petite ville est à un kilomètre

Heureuse et bête dans la lumière du jour.

Une cloche sonne doucement : je devrais pleurer

Mais j’ai les yeux fermés et le visage sec.

Je sui sans importance et il faudra mourir.

A proprement parler, je suis déjà mort,

Pourtant j’entends les oiseaux chanter au-dessus de ma tête.

 

Traduit de l’anglais par Denis Rigal

In, Derek Mahon « La veille de nuit. Choix de poèmes »,

Editions Folle Avoine, 1996

 

Du même auteur :

Portrait de l’artiste / A portrait of the artist (22/06/2020)

Epitaphe pour Robert Flaherty / Epitaph for Robert Flaherty (22/06/2021)

Les dieux bannis / The banished gods (22/06/2022)

l’Ecclésiaste / Ecclesiastes (22/06/2023)

 

 

Four walks in the country near St.-Brieuc

 

1. Morning

 

No doubt the creation was something like this –

A cold day breaking on silent stones,

Slower than time, spectacular only in size.

First there is darkness, then somehow light;

We call this day, and the other night,

And watch in vain for the second of sunrise.

 

Suddenly, near at hand, the click of a wooden shoe –

And old woman among the primaeval shapes

Abroad in the field of light, sombrely dressed.

She calls good-day, since there are bad days too,

And her eyes go down. She has seen perhaps

Then thousand dawns like this, and is not impressed.

 

2. Man and Bird

 

All fly away at my approach

As they have done time out of mind,

And hide in the thicker leaves to watch

The shadowy ingress of mankind.

 

My whistle-talk fails to disarm

Presuppositions of ill-will ;

Although they rarely come to harm

The ancien fear is them still.

 

Which irritates my amour propre

As an enlightened alien

And renders yet more wide the gap

From their world to the world of men.

 

So perhaps they have something after all –

Either we shoot them out of hand

Or parody them with a bird-call

Neither of us can understand.

 

3. After Midnight.

 

They are all round me in the dark

With claw-knives for my sleepy anarch –

 

Beasts of the field, birds of the air,

Their slit-eyes glittering everywhere.

 

I am man self-made, self made-man

No small-talk now for those who ran

 

In and out of my muddy childhood

We have grown up as best we could.

 

4. Exit Molloy

 

Now at the end I smell the smells of spring

Where in a dark ditch I lie wintering,

And the little town only a mile away

Happy and fatuous in the light of day.

A bell tolls gently ; I should start to cry

But my eyes are closed and my face dry.

I am not important and I have to die.

Strictly speaking I am alrealdy dead

But still I can hear the birds sing on over my head.

 

 

Poème précédent en anglais :

John Montague  : Mer vineuse / Wine dark sea (25/10/2014)

Poème suivant en anglais :

Stephen Crane : La guerre est aimable / War is kind (26/12/2014)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bar à poèmes
Publicité
Archives
Newsletter
96 abonnés
Publicité