Heureux, heureux celui qui, dans la solitude,
Se livre avec paresse aux travaux de l’étude ;
Qui, secouant sa chaîne, à lui-même rendu,
Suit cet étroit sentier tracé par la vertu !
Au milieu de ces champs où, dans un humble asile,
Pour trouver le bonheur, moi-même je m’exile,
Que j’aime à recevoir un véritable ami,
Qui partage mes goûts, que mon cœur a choisi !
Là, tous deux ignorés, dans une paix profonde,
Nous défions l’ennui, ce du grand monde ;
Là des poètes morts les ouvrages piquants
Nous sauvent du pathos des poètes vivants.
Là, pour nous délasser des fâcheux de la ville,
Nous abrégeons la veille entre Horace et Virgile,
Soigneux de rechercher dans ses divins auteurs
Ce qui forme l’esprit, ce qui polit les mœurs ;
Sans regrets, sans remords, nous glissons sur la vie
Comme ce clair ruisseau qui court dans ma prairie.
Vous que fuit le repos, mortels ambitieux,
Venez apprendre ici le secret d’être heureux :
Que les rangs, les honneurs, la fortune inconstante
Eblouissent les yeux de la foule ignorante ;
J’ai vainement cherché le bonheur dans les cours ;
Le bonheur est ici : j’y finirai mes jours…
Traduit du russe par Emile Dupré de Saint-Maure
In, « Poésie russe.Anthologie du XVIIIé au XXé siécle, présentéé par Efim Etkind,
Editions La Découverte / Maspéro, 1983