Dernières volontés
Mes compagnons, enterrez-moi à l’Ile Noire,
face à la mer que je connais, face aux âpres surfaces
de pierre et de vague que mes yeux perdus
ne reverront jamais.
Chaque journée de l’océan
m’apportait le brouillard ou la turquoise en chutes pures
ou la simple étendue, l’eau rectiligne et invariable,
ce que je demandais, l’espace qui rongea mes tempes.
Le deuil qui passe avec le cormoran, le vol
des grands oiseaux gris qui aiment l’hiver,
et chaque cercle de sargasses, ténébreux,
et chaque vague grave qui secoue son froid,
et encore et surtout, la terre et son herbier caché,
secret, fils des brumes et du sel, rongé
par le vent acide, corolles minuscules
de la côte collée au sable sans limites :
toutes les clefs mouillées de la terre marine
connaissent chaque phase de ma joie
et savent
que je veux dormir là, là entre les paupières
de l’océan et de la terre…
Je veux partir
entraîné vers le bas par les pluies que le vent
sauvage de la mer émiette et dissémine,
puis me laisser porter par les lits souterrains
vers le printemps qui renait en sa profondeur.
Ouvrez auprès du mien un creux pour ma compagne.
Et quand l’heure viendra,
laissez-la me suivre dans la terre
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
In Pablo Neruda « Chant général », éditions Gallimard, 1977
Du même auteur :
Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée / Veinte poemas de amor y una canción desesperada (02/11/2015)
Testament d’Automne (02/11/2016)
Hauteurs de Macchu-Picchu / Alturas de Macchu-Picchu (02/11/2017)
« Que ne t’atteigne pas l’air... » / « No te toque la noche... » (02/11/2018)
Le paresseux / El perozoso (02/11/2019)
La Ma Nounou / La Mamadre (02/11/2020)
Sévérité / Severidad (02/11/2021)
« La grande pluie du Sud tombe sur Isla Negra... » / « La gran lluvia del sur cae sobre Isla Negra... » (02/11/2022)
Disposiciones
Compañeros, enterradme en Isla Negra,
frente al mar que conozco, a cada área rugosa
de piedras y de olas que mis ojos perdidos
no volverán a ver.
Cada día de océano
me trajo niebla o puros derrumbes de turquesa,
o simple extensión, agua rectilínea, invariable,
lo que pedí, el espacio que devoró mi frente.
Cada paso enlutado de cormorán, el vuelo
de grandes aves grises que amaban el invierno,
y cada tenebroso círculo de sargazo
y cada grave ola que sacude su frío,
y más aún, la tierra que un escondido herbario
secreto, hijo de brumas y de sales, roído
por el ácido viento, minúsculas corolas
de la costa pegadas a la infinita arena:
todas las llaves húmedas de la tierra marina
conocen cada estado de mi alegría,
saben
que allí quiero dormir entre los párpados
del mar y de la tierra . ..
Quiero ser arrastrado
hacia abajo en las lluvias que el salvaje
viento del mar combate y desmenuza,
y luego por los cauces subterráneos, seguir
hacia la primavera profunda que renace.
Abrid junto a mí el hueco de la que amo, y un día
dajadla que otra vez me acompañe en la tierra.
Canto general, 1950
Poème précédent en espagnol:
Moncho Azuaga : Ce chant / Este canto (26/10/2014)
Poème suivant en espagnol :
Federico Garcia LorcaLa guitare / la guittara (04/11/2014)