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Le bar à poèmes
30 octobre 2014

Dominique Sampiero (1954 - ) : « On ne peut pas s'empêcher de mourir »

 

Dominique-Sampiero[1]

 

On ne peut pas s'empêcher de mourir

 

 

      N'être rien rend fou tant que l'on résiste.

      N'être rien est une jouissance quand on s'y abandonne, les yeux fermés, pour

laisser le silence nous dévaster.

 

     N'être rien me parle plus que tout, c'est absurde, rien ne devrait rien dire, mais si,

au contraire, seul ce qui n'est pas moi me parle, j'apprends la langue qui me ravage.

 

*

     Là où plus rien ne bouge, j’attends qu’un fleuve se réveille et déborde à nouveau

comme parfois le visage des autres. Pourquoi les gens les plus humbles, les 

êtres les plus cloués à leur décor, s’absentent tout à coup au cœur d’un regard qui

les plonge dans le vide ?

 

 

     Pourquoi la patronne du Café du Commerce a-t-elle hier laissé ses yeux virer au

noir, personne ne s’est aperçu de rien, elle s’est déchirée en silence, l’espace d’une

seconde, puis les eaux de son front se sont refermées, il ne s’est rien passé, mais

pour moi si, et le mystère de cette offrande est comme Dieu tirant les âmes à lui,

et sur ma chaise devant ma bière, je souris au néant.

 

 

     Si vous affirmez qu’il y a un puits sous la maison tout le monde vous croit.

Si vous racontez, accoudé au bar et comme pour faire une confidence, qu’un

peu d’éternité a débordé des yeux de Solange, je n’ose imaginer ce qui

va se passer. On vous insulte, on vous méprise, on vous foudroie d’un rire.

Mais après tout, la foudre…

 

*

     Chaque matin, je me prépare à exister et je n'arrive qu'à cette pauvre

présence d'arbre foudroyé, de flaque plus ou moins vivante selon les averses.

 

     Dieu n'est rien, rien d'autre que Dieu, le dire est un supplice. L'essence

du miracleest sa durée et la forme qu'il manifeste dans l'insignifiant.

 

*

     Alors rien n'est plus beau que la mort, personne n'ose plus le dire, je parle

de la mort tout de suite, ici maintenant, quand je suis partout, dehors et dedans,

là et nulle part, ça s'emboîte, la mort emboîte définitivement le moi à la ligne

pure de l'horizon, rien n'est plus beau que la mort sauf une caresse inachevée,

ouverte, un effleurement des doigts sur une peau écarquillée, et c'est la mort

tout de suite, la danse avec le plus vaste, ma peau touche terre, mange les cailloux,

les herbes, les mouches et les sauterelles, les papillons dans mon ventre jouent

avec le miel des abeilles sur des fleurs invisibles, jamais cueillies, des fleurs plus

rares que les vraies. Si je ne vis pas ma mort, les ombres enterrent ma chair et la

retiennent dans la noirceur de la nuit. Ça brille mais ce n'est pas la lumière.

 

 

In, Jean Orizet « La poésie française contemporaine », 

Le Cherche – Midi éditeur, 2004

 

Du même auteur :

« La main en écrivant… » (12/10/2016)

« Tu dis « je vais à ta rencontre » …  (10/12/2017)

« Je range tes lettres... » (12/10/2018

Lettre à ceux qui ne me liront jamais (27/08/2023)
 

 

 

 

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