Le chant s’était tu
Ou quelque chose dans le chant
On ne sait pas
Quelque chose
Qui n’avait plus sa place
Et faisait du silence
Une paupière sur une absence d’œil
C’était sans importance
Pour le commerce ou les rapports
De forces
C’était sans importance
Dites-vous bien qu’on pouvait
S’en passer : la parole sans miracle
Avait encore de beaux jours
Sauf chez quelques-uns peut-être
Pour qui les mots
Restaient insupportablement vides
Et l’âme
La partie la plus fine du corps
Comme un drapeau
Qu’on avait oublié au balcon
Sauf peut-être pour quelques-uns
Plus mal en point
Dans le grand lit des solitudes
Où le cœur
Est une goutte de mercure
Ou de la gomme de résine
Lentement sur l’écorce d’un tronc
Et l’univers qu’on croit indifférent
Parce qu’il est loin
Alors qu’on est dedans
L’univers qu’on croit connaître
Parce qu’on y est né
Alors qu’on sait si peu de soi
Et du silence en soi
L’univers attendait sans rien dire
Car le chant s’était tu
Ou quelque chose dans le chant
On ne sait pas
Mais quelques-uns pensaient
A ces oiseaux qu’un seul hiver
Rendaient muets pour toujours
C’était sans importance
On écrirait là-dessus
Comme sur le reste et cela suffit
Sauf peut-être pour certains
Qui eux non plus ne savaient plus
Et restaient sans rien dire
Lorsque le chant ne chantait pas
L’univers attendait
La voix qui entrerait en lui
Comme la lumière dans un fruit
Ou l’eau
Dans le pis des racines
Et comme de l’air
Dans les poumons d’un nouveau-né
L’univers attendait
Le rêveur d’interdits l’ignorant
Des barbelés de la peur
Autour des camps de prisonniers
Du verbe
Et cette folie entre deux corps
Encordés par leurs souffles
L’univers attendait
Que sorte et se montre pour danser
Celui qu’on ne voit pas
Qu’il hurle et insulte
Le soleil des certitudes
Car les anciens l’avaient dit :
Il sera votre bourreau
Et c’est aussi difficile à croire
Que de se couper les ongles
Avec la main gauche
Ou accepter l’idée
Que rire déplaît aux dieux
Et que le temps
N’est pas une science exacte
C’était sans importance
Mais cela avait quelque chose
A voir avec la violence de l’argent
Et le viol publicitaire des consciences
Car ceux-là pensaient
Que l’air est une chose respirable
Plusieurs fois d’affilée.
Coïmbra ou l’antiphonaire d’Orphée, Éditions Bernard Dumerchez, 2005
Du même auteur : « Peu à peu se fait se ferme se défait le texte … » (13/10/2015)