La vie pousse
La vie pousse comme l’étonnement et la crainte
oubliées un instant dans une étreinte amoureuse,
la vie pousse comme la queue devant le boulanger.
La vie pousse comme l’herbe, comme la poussière et comme la mousse
comme la toile d’araignée, le givre et les taches de moisissure
la vie pousse impitoyable comme la toux et l’éclat de rire ;
malgré les guerres, les armistices, les pourparlers,
la détente, le rideau de fer, la Société des Nations,
la guerre froide, les changements de climat, l’O.N.U.,
l’exploitation cachée et la tyrannie affichée,
l’orgueil des limousines noires et les juges inflexibles,
l’aveuglement des gens et la cécité de la nature,
la course aux générations et aux armements, les fantasmes rivaux,
les serviteurs de l’infamie, les sujets du néant,
les objets perdus et les rêves en plastique,
les journaux à scandale et les greffes du cœur,
les pactes secrets et le mensonge officiel
le dénigrements de nos valeurs sacrées,
la pollution atmosphérique et les tremblements de terre ;
la vie pousse sans qu’on puisse l’en empêcher, sur les décombres
et à travers le sommeil le plus profond,
au-dessus de nous, autour de nous et à travers nous qui sommes
ses fils prodigues,
la vie pousse comme l’inflation cachée des prix, comme la science-fiction,
comme l’inflation officielle et comme la spéculation,
comme la pression du sang, comme le miroir, comme la tyrannie de l’imaginaire,
comme la crainte du retard au bureau ou d’un regard qui vous fixe ;
la vie pousse comme le fœtus et comme la faim,
la vie pousse comme la faune et la flore
mais la vie ne pousse pas comme la haine, comme le désir de revanche,
ou la soif de vengeance
et même quand elle ne sait pas ce qu’elle veut
la vie veut vivre
comme l’homme.
La vie pousse , 1978
Traduit du polonais par Jacques Donguy et Michel Maslowski
In « Poésie polonaise contemporaine », Le Castor astral & Lettres slaves, 1983