Mère
J’aurai porté ton corps comme un sac d’ombre,
j’aurai vécu pour n’être plus de toi
que cette balle à la roulette russe
pari perdu d’un jour qui m’a meurtri,
j’aurai passé ta douleur comme un fleuve
sa flottaison de rêves tronçonnés,
moi l’habitant de ta plaie, locataire
de chaque cri qu’on ne peut acquitter,
j’aurai grandi jusqu’à n’être que larme
qui ne pouvait fleurir dans ton désert,
rose d’oubli, rose double du sable
de toi de moi partageant le miroir.
Ta plainte fut comme un loup dans la neige
qui me suivait, dévorant ma naissance,
sur chaque page où s’impriment tes pas
crève un abcès dont mes mots sont le pus.
Aimer, haïr, quel est le ver du fruit ?
Je t’ai trahi pour ne plus être l’orée
de la forêt d’où sortaient tes racines
pour m’investir de caresses mortelles.
Revue « Europe », Janvier-Février 1983
Du même auteur :
Hors-saison (12/09/2015)
Je dois réponse à tout (12/09/2016)
Mais si… (12/09/2017)
Aimer Mourir (12/09/2018)
Dialogue à Jérusalem (12/09/2019)
Se délester (10/09/2020)