Je n’ai pas peur du vent
Toi qui hurles sans gueule
Mords sans dents
Fascines sans yeux
Face creuse
Toi qui fais bondir la pantomime des ombres et des lumières
Coupe sans faux
Arraches claques et bats
Sans bras sans mains sans fouets sans fléau
Fléau toi-même vent levant du Levant
Toi qui mets le tonnerre au cœur de la forêt
Et fais courir les géants de sable au désert
Père des vagues des cyclones des tornades
Déformant d'hystérie la face de la mer
Jusqu'à la trombe
Coït de l'eau salée et du ciel sucré
Char ailé de la dame blanche reine des tempêtes de neige
Toi qui bossues les dunes
Et les dos des chameaux
Toi qui ébouriffes la crinière des lions
Qui fais gémir les loups
Et chanter les roseaux les bambous
Les sistres et les harpes
Toi qui fais tomber les pots de fleur sur les sommets des citoyens pour leur ouvrir la tête
siège de la compréhension
Et descendre les avalanches dans les vallées pour les emplir
Toi qui berces les ailes étalées du sommeil de l'oiseau sans pattes
Qui naît en l'air
Et va se suicider aux cimes coupantes du ciel
Toi qui trousses les cottes
Et dévastes les côtes
Les côtes en falaises et les côtes en os
Toi qui horripiles les peaux
Secoues les oripeaux les drapeaux les persiennes
Les plis des manteaux des voyageurs égarés les arbres
Les fantômes et les allumettes perdus dans l'immensité
Toi qui ondules les ondes et les chevelures
Fais cligner les yeux et les flammes
Claquer les oriflammes
Grand voyou chérubin démesuré
Clown des tourbillons
Sculpteur de nuages
Roi des métamorphoses
Toi qui fais vivre éperdument les choses qui sans toi
Seraient vouées à l'inertie la plus plate
Immense père des spectres et des frissons
Toi qui animes la gesticulation des rideaux mystère
Dans les châteaux hantés
En gueulant partout
Dans les couloirs les cheminées et les fosses d'aisance
Toi qui fais voyager la pluie et le beau temps
Quand ils s'ennuient
Et t'amuses à faire peur aux petits oiseaux
En agitant les épouvantails à moineaux
Polichinelles sans fils À moins que tu n'introduises dans ces simulacres en haillons
Les âmes trémoussantes des morts de mort
Violente et criminelle
Toi qui fais tourner le lait des nourrices les aiguilles des montres les tornades et les
moulins à vent
Toi qui effrayes les enfants emmerdes les parents
Fais la joie des pirates et des voiles
Des pirouettes des feuilles
Et des girouettes que tu prends pour des girouettes
Toi par qui tremblent les trembles
Et trébuchent les vieillards pitoyables
Sans cœur Affreux Dégingandé Vicieux
Alizé mistral tramontane simoun de malheur vilain sirocco
Toi qui retournes comme des omelettes les jolis bateaux
Et les avions comme des pétales de rose
Toi qui joues aux ballons avec ceux d'entre eux
Qui ne sont pas captifs ou qui ne le sont plus
Toi qui tortilles la raideur des tuyaux de poêle
Assassin des cheminées voleur de chapeaux
Apache Jeteur de poivre aux yeux
Père du hâle qui aime les peaux Face de rat
Toi qui étires les formes
Déformes les visions
Et fais aux parois de l'univers des déchirures et des dentelles frémissantes
Toi qui portes le son comme un nourrisson
Toi qui fais courir la lune sans arriver à faire trembler l'arc-en-ciel
Vent du large
Toi dont le souffle égal et la rumeur chantante
Bercent endorment tes adorateurs maritimes
Le jour
Toi qui renverses à minuit sur les hommes
La grande urne de l'insomnie la sueur des cauchemars et l'éboulement écraseur de
l'angoisse
Tant tu pleures et gémis
Vent noir des nuits dans ta solitude affreuse Écorché
Toi qui sèches les larmes
Toi qui sèches le linge
Terreur des bouts de papier des concierges des navigateurs timorés des insectes des
caravaniers des armateurs des armatures de parapluie des ornements de la toilette
féminine de certaines grosses bêtes et des personnes sensibles et nerveuses
Toi qui réjouis les pilleurs d'épaves et le pétrel des tempêtes les cheveux lyriques les
gouttes d'eau et les poussières qui dansent le pollen amoureux le frisson des moissons
le cerf-volant le camp-volant le vol -au -vent
Et les gens peu recommandables
Je n'ai pas peur de toi
Je te dis Vent bonjour
Je te dis Bonjour Vent
Emporte mon bonjour
Au pays du Levant
Et maintenant
Vent rageant cinglant
Fous le camp
En agitant tes grands bras mous méchants
Et en courant sur tes grandes jambes pâles mûmes de pieds invisibles mais gigantesques
Adieu vent
J'oubliais rendez-vous au zénith à l'auberge de la rose des vents
Et sans rancune
Mais
Si jamais
Contre l'os interdit de mon front
Tu déchaînes ta rage à la voix de tonnerre
Ta colère aux gestes d'orage
Ta vengeance ouragan
Alors ô père vent
Jusqu'à tarir ton divin sang
Plus ancien que les eaux de l'abîme océan
Jusqu'à tarir ton souffle aïeul des dieux vivants
Et fossoyeur de leurs cadavres
Jusqu'à l'effacement
De l'antique regard absent
Qui fit naître la nuit au fond de tes yeux caves
Jusqu'au silence jusqu'au blanc
Je te fouetterai vent esclave
Je te fouetterai vent
La vie l’amour la mort le vide et le vent, Editions des Cahiers libres, 1933
Du même auteur :
Sacre et massacre de l’amour (08/08/2015)
Le vent d’après / le vent d’avant (08/08/2016)
Chassé – croisé du coma (08/08/2017)
Le fils de l’os parle (08/08/2018)
Illusion (08/08/2019)
Les quatre éléments (08/08/2020)
Testament (08/08/2021)