Robert Desnos (1900-1945) : J’ai tant rêvé de toi
J’ai tant rêvé de toi
J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la
naissance de la voix qui m’est chère ?
J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur
ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des
jours et des années je deviendrais une ombre sans doute,
Ô balances sentimentales.
J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors
debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule
qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres
que les premières lèvres et le premier front venu.
J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste
plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois
que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.
Poèmes à la mystérieuse,
in, Revue " La révolution surréaliste, N° 7, 15 juin 1926"
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