Jacques Dupin (1927 - 2012 ) : " j'ai cru rejoindre par instants..."
J’ai cru rejoindre par instants une réalité plus profonde comme un fleuve la mer,
occuper un lieu, du moins y accéder de manière furtive, y laisser une empreinte,
y voler un tison, un lieu où l’opacité du monde semblait s’ouvrir au ruissellement
confondu de la parole, de la lumière et du sang. J’ai cru traverser vivant, les yeux
ouverts, le noeud dont je naissais. Une souffrance morne et tolérable, un confort
étouffant se trouvaient d’un coup abolis, et justifiés, par l’illumination fixe de
quelques mots inespérément accordés. Nous coïncidions hors du temps mais le
temps pliait les genoux et si je ne le maîtrisais pas dans sa course, du moins
commandais-je alors à ses fulgurantes éclipses… Je l’ai cru. Le battement de
l’abîme scandait abusivement l’offrande de rosée au soleil, dehors, sur chaque
ronce.
L' Embrasure,
Editions Gallimard, 1969
Du même auteur :
Grand vent (27/06/2015)
« Expérience sans mesure… » (28/06/2016)
Le règne minéral (28/06/2017)
Chapurlat (28/07/2018)
« Se lever tôt... » (28/07/2019)
Malevitch (20/10/2020)
Enoncé (1) (30/06/2022)