L’Ours
Il danse en musique au souvenir du feu qui lui chauffa les pieds, mais à son
rythme rêve des forêts où il fut près du ciel. Tandis qu’il lève une patte,
puis l’autre, en cadence, ses bras enlacent des fûts lointains ou, au septentrion,
une compagne cosmique. Tantôt ils battent l’eau vers un éclair d’écaille,
tantôt ils se tendent vers une épiphanie friande, un pain sauvage surgi des
forces de la nuit dont l’or jaillit en rayons melliflues. L’animal de foire a les
plaisirs qu’il peut, et le badaud l’indiffère qui ne sait rien de ces bonheurs
faciles, ni de ces élans sylvestres, mêlés d’aube et de rosée qui – s’ils n’étaient
bridés par l’humaine pudeur – seraient aussi les siens, le pousseraient à grimper
aux arbres, et, à même l’écorce, libérant un grognement extatique, à s’adonner à
quelque étreinte fauve, à défaut de pouvoir s’avaler soi –même en esquissant
un geste de fureur courbe, poussé jusqu’à son terme de rage, de folie et
d’anéantissement.
Bestaire, Editions Folle Avoine, 2001