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Le bar à poèmes
24 mai 2014

Louis Aragon (1897 - 1982) : Vingt ans après

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Vingt ans après

Le temps a retrouvé son charroi monotone

Et rattaché ses boeufs lents et roux c'est l'automne

Le ciel creuse des trous entre les feuilles d'or

Octobre électroscope a frémi mais s'endort

 

Jours carolingiens Nous sommes des rois lâches

Nos rêves se sont mis au pas mou de nos vaches

A peine savons-nous qu'on meurt au bout des champs

Et ce que l'aube fait l'ignore le couchant

 

Nous errons à travers des demeures vidées

Sans chaînes sans draps blancs sans plaintes sans idées

Spectres du plein midi revenants du plein jour

Fantômes d'une vie où l'on parlait d'amour

 

Nous reprenons après vingt ans nos habitudes

Au vestiaire de l'oubli mille Latudes

Refont les gestes d'autrefois dans leur cachot

Et semble-t-il ça na leur fait ni froid ni chaud

 

L'ère des phrases mécaniques recommence

L'homme dépose enfin l'orgueil et la romance

Qui traîne sur sa lèvre est un air idiot

Qu'il a trop entendu grâce à la radio

 

Vingt ans L'espace à peine d'une enfance et n'est-ce

Pas sa pénitence atroce pour notre aînesse

Que de revoir après vingt ans les tout petits

D'alors les innocents avec nous repartis

 

Vingt ans après Titre ironique où notre vie

S'inscrivit tout entière et le songe dévie

Sur ces trois mots moqueurs d'Alexandre Dumas

Père avec l'ombre de celle que tu aimas

 

Il n'en est qu'une la plus belle la plus douce

Elle seule surnage ainsi qu'octobre rousse

Elle seule l'angoisse et l'espoir mon amour

Et j'attends qu'elle écrive et je compte les jours

 

Tu n'as de l'existence eu que la moitié mûre

O ma femme les ans réfléchis qui nous furent

Parcimonieusement comptés mais heureux

Où les gens qui parlaient de nous disaient Eux deux

 

Va tu n'as rien perdu de ce mauvais jeune homme

Qui s'efface au lointain comme un signe ou mieux comme

Une lettre tracée au bord de l'Océan

Tu ne l'as pas connu cette ombre ce néant

 

Un homme change ainsi qu'au ciel font les nuages

Tu passais tendrement la main sur mon visage

Et sur l'air soucieux que mon front avait pris

T'attardant à l'endroit où les cheveux sont gris

 

O mon amour ô mon amour toi seule existe

A cette heure pour moi du crépuscule triste

Où je perds à la fois le fil de mon poème

Et celui de ma vie et la joie et la voix

Parce que j'ai voulu te redire Je t'aime

Et que ce mot fait mal quand il est dit sans toi

 

Le Crève-Coeur,

Editions Gallaimard, 1941

 Du même auteur :

« J’arrive où je suis étranger… » (24/05/2015)

Il n'y a pas d'amour heureux (24/05/2016)

L’Amour qui n’est pas un mot (24/05/2017)

Un homme passe sous la fenêtre et chante (24/05/2018)

La beauté du diable (24/05/2019)

Air du temps (24/05/2020) 

Falparsi (24/05/2021)

« Tu m’as trouvé... » (24/05/2023)

 

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