François Cheng (1929 -) : Un jour, les pierres (I)
Un jour, les pierres
Un jour
Nous nous retrouverons
Sur notre chemin
Pierres
Ignorées
Piétinées
Détentrices pourtant
De la source
De la flamme
Du souffle de l’initiale
Promesse
Vous retrouvant
Nous nous retrouverons
Du pied à la pierre
il n’y a qu’un pas
Mais que d’abîmes à franchir
Nous sommes soumis au temps
Elle, immobile
au cœur du temps
Nous sommes astreints aux dits
Elle, immuable
au cœur du dire
Elle, informe
capable de toutes les formes
Impassible
porteuse des douleurs du monde
Bruissante de mousses, de grillons
de brumes transmuées en nuages
Elle est voie de transfiguration
Du pied à la pierre
Il n’y a qu’un pas
Vers la prescience
Vers la présence
Tu es pagode qui élève
Et tu es pont qui relie
Tu es banc qui repose
Tu es butoir sur quoi
nous butons
Et nous trébuchons
Et nous avançons
Sur nos routes
N’es-tu, justement
La borne
Nous indiquant sans fin
Toujours d’ici
toujours plus loin
L’horizon ?
Crêtes, arêtes
Stries et strates
Echardes dans la main signant de sang
la prime triade
Strates striées
Arêtes des crêtes
Remous du cœur pétrissant de feu
le suprême faîte
States et stries
Arêtes, crêtes
Et nous n’échangerons pas
Le quartz d’ici
Contre les diamants du ciel
Ici la vie vécue
Ici le rêve perdu
Ici le chant enfoui
Ici le rythme rompu
Que nous avions jetés au vent
- à quel âge ingrat ?
Que les cristaux de roche
Ont conservés intacts
A notre insu
Et toi le remous originel
Tout le charnel du créé
Rocher d’un jour
Ou de toujours
Tout le tourment en tes plis
Toute la joie en tes plis
Lorsque tu te déploieras
Lave et phénix ne feront qu’un
Frayeur bue
Douleur tue
Se livrer à la foudre
Est-ce déjà trahir
Toute fêlure semence
Toute fracture naissance
Frayeur bue
Douleur tue
Eternel premier cri
Nous ne faisons que passer
Tu nous apprends la patience
D’être le lieu et le temps
Toujours pour la prime fois
Toujours du Souffle l’élan même
Qui du non-être tend vers l’être
Toujours présence renouvelante
Entre laves et rosées
Privé de fleurs, de feuillages
De consolables oublis
Tu tiens le nœud des racines
Au passage de l’ouragan
L’aigle invisible est en vous
Rochers surgis de nos rêves
En vous la flamme
En vous le vol
En vous la nuit fulgurante
Que nous ignorions
Rochers surgis de nos rêves
L’invisible aigle est en vous
Embrassant Yin
Endossant Yang
Frayant en nous la voie sûre
Que nous ignorions
Sol craquelé
Ciel constellé
En nous votre élan charnel
A l’aube sur toutes routes
Vous dressez vos corps ailés
Parfois sous nos mains calleuses
Brisant les frimas figés
Un ange renaît sourire
Le rocher parle :
Tu cherches le feu le voici
Brusque éclat au cri de phénix
Erre plus vaste que miroir brisé
Douces alors cendres sans regret
Et transparente soif sans mesure
Tu cherches la source la voici
Senteur de brume ou de tonnerre
Fouillant le corps jusqu’au vertige
Torrent de lait rompu d’extase
Jailli du fond vers nul ailleurs
Tu cherches le lieu le voici
Entre l’or de l’argile et l’ombre
Du feuillage, la lumière jouant
De l’éternel repos-envol
Fixe la sûre demeure de l’instant
Bloc intransigeant
Même réduit en miettes
Nous sommes la vie entière
Sous l’ignoble marteau
Chaque bris rejoint tous les cris
Chaque éclat
Clame l’innocence nue
.............................
Double chant,
Editions Encre Marine,2000
Du même auteur :
« L'infini n'est autre… » (15/05/2015)
Un jour, les pierres (II) (15/05/2016)
« Demeure ici… » (15/05/2017)
Un jour, les pierres (III) (05/05/2018)
L’arbre en nous a parlé (I) (05/05/2019)
L’arbre en nous a parlé (II) (05/05/2020)
L’arbre en nous a parlé (III) (05/05/2021)
Cantos toscans (I) (05/05/2022)
Cinq quatrains (05/05/2023)