Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes
combustions. Je dirais orage. Je dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais
feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies,humecté de
toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant
lent de l'oeil des mots en chevaux fous en enfants frais en caillots en
couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour
décourageur les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait
pas davantage le rugissement du tigre.
Et vous fantômes montez bleus de chimie d'une forêt de bêtes traquées
de machinestordues d'un jujubier de chairs pourris d'un panier d'huîtres
d'yeux d'un lacis de lanières découpées dans le beau sisal d'une peau
d'homme j'aurais des mots assez vastes pour vous contenir et toi terre
tendue terre saoule
terre grand sexe levé vers le soleil
terre grand délire de la mentule de Dieu
terre sauvage montée des resserres de la mer avec dans la bouche une
touffe de cécropies
terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'à la forêt vierge et
folle que je souhaiterais pouvoir en guise de visage montrer aux yeux
indéchiffreurs des hommes
il me suffirait d'une gorgée de ton lait jiculi pour qu'un toi je découvre
toujours à même distance de mirage - mille fois plus natale et dorée
d'un soleil que n'entame nul prisme - la terre où tout est libre et fraternel,
ma terre
Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir...
j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont
le limon entre dans la composition de ma chair : «J'ai longtemps erré
et je reviens vers la hideur désertées de vos plaies ».
Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : « Embrassez-moi sans
crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerais ».
Et je lui dirai encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche,
ma voix, la libertéde celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »
Et venant je me dirais à moi même :
« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous
croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas
un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un
homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »
Et voici que je suis venu !
De nouveau cette vie clopinante devant moi, non pas cette vie,
cette mort, cette mort sans sens ni piété, cette mort où la grandeur
piteusement échoue, l'éclatant petitesse de cette mort, cette mort
qui clopine de petitesses en petitesses ; ces pelletées de petites avidités
sur le conquistador; ces pelletées de petits larbins sur le grand sauvage,
ces pelletées de petites âmes sur le Caraïbe aux trois âmes,
et toutes ces morts futiles
absurdités sous l'éclaboussement de ma conscience ouverte
tragiques futilités éclairée de cette seule noctiluque et moi seul,
brusque scène de ce petit matin où fait le beau l'apocalypse des monstres
puis, chavirée, se tait chaude élection de cendres, de ruines et d'affaissements
Cahier d'un retour au pays natal, 1939 - 1956
Présence africaine, 1956
Du même auteur :
En guise de manifeste littéraie (25/01/2015)
Et les chiens se taisaient (26/01/2016)
Fragments d’un poème (26/01/2017)
« Soleil serpent… » (26/01/2018)
A l’Afrique (26/01/2019)
Configurations (26/01/2020)
Batouque (26/01/2021)
Idylle (26/01/2022)
Corps perdu (26/01/2023)