Matière de lumière
A Françoise
There’s light –
Light all about me, and I move to it.
Robert Browning
Matière de lumière les murs
Dans le retournement du soleil
Comme la mer éclate ses limites en écume
La clarté presse la clarté
Au bruit d'une main
La fleur s'ouvre en elle - même
Sans faille l'épaisseur est de surface
Les pierres saignent l'or du soleil
la contre lulière recèle le jour
Hors de toute prise
Intact dans les ténèbres claires
De sa finalité
ESCALIER
Vue d’en bas, la figure de la montée
L’envol mémorable d’une vie
Suspendue pas à pas
Avec entre les plis de pierre
Le noir entêtement du jour
Le fût évidé de l’imaginaire
Dans l’arbre du réel
Passage du souffle
Flamme et eau
Colonne et cascade
La portée d’une musique
Sur le vide
Ou le renversement de l’ange
Lenz qui voulait marcher sur la tête
Et Bartleby mourant dans son refus
Sur le gazon chu du bec des oiseaux
Là où il y avait le ciel
PORTE
De retour à la maison
Le jour est nuit
Mais l’approche est de clarté
Et l’herbe effile son ombre
Sur les marches peu profondes
Franchir le seuil
De cette porte qui n’existe que fermée
Est le passage imaginaire
Naissance et mort
Une pensée de l’air
FENÊTRE
Vue du dehors
Noire dans la clarté de la façade
Moins un regard qu’un refus
Phèdre s’abstrayant de la lumière
Pour l’enfanter
(La nuit sera noire ou blanche
Un battement d’ailes
De l’oiseau traiteur du seuil)
Mais soustraite du mur
Est-elle une trouée dans l’être
L’espace de rien
Ou dans le long retour
Vers l’immédiat
L’ordalie
D’une fidélité au jour ?
Habiter une maison
C’est avoir droit aux oiseaux
Et à quelques fleurs, être orienté
Savoir attendre le jour à sa place
Un arbre ne veut rien de plus
Ses racines lui donnent le ciel
Comme une terre légère
JAN SIX
Derrière sa tête le ciel se creuse
Cet homme seul
Qui lit à la fenêtre
Ouvre un autre espace
Comme dans un sablier d’or
Le temps s’éblouit
Et l’heure brève s’écoule absente
Adossé au soleil
Le visage porté par les ailes du col
Danseur immobile
Il se meut en lui-même
Et l’eau informe le verre
D’une buée fragile
d’après Rembrandt
PIEVE
Devant nous
La montée de quelques marches
Vers l’habitation de la nuit
Cette façade plus noire que l’air
Qui s’ouvre sur un autre espace
Où l’invisible a lieu
Détruits les murs se dressent
Clairs en leur absence
Les colonnes portent bas le ciel
Ce qui est, est de lenteur
Le long retour du corps
A la transparence
LA CHAMBRE DE LIVIA
En ouvrant les yeux
Elle voit la chambre se dissoudre
En fleurs et feuilles
Les oiseaux frôler les fruits
Et leur chant trembler en rosée
Dans les airs
Autour d’elle
Les parfums creusent des chemins
Le ciel est une écume bleue
Entre les arbres
« Mais je suis dehors
Pourquoi ai-je cru les murs
Tout se traverse... »
Plus tard elle se réveille encore
Matière de lumière,
Editions Folle Avoine, 1985
De la même autrice :
« Si pour vivre il suffit de toucher la terre… » (20/01/2015)
La terre âgée (20/01/2016)
L’après-midi à Bréhat (20/12/2017)
Mère bleue (05/02/2018)
L’Ombre au Soleil (05/02/2019)
Le tertre blanc (05802/2020)
Paulina à Orta (05/02/2021)
Lieux (05/02/2022)
Fleurs (05/02/2023)